Le martinisme de Louis-Claude de Saint Martin

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Comme nous l’avons vu précédemment, le martinisme de Saint-Martin s’inscrit dans l’histoire et le parcours de l’homme.

“Toutes les circonstances de ma vie ont été comme des échelons que Dieu plaçait autour de moi pour me faire monter jusqu’à lui ; car il ne voulait pas que je reçusse de joies, de consolations, de lumières, et de bonheur réel par aucune autre main que par la sienne : et son seul objet était que je vécusse, et que je demeurasse exclusivement avec lui. Vérité écrite, dès mon plus bas âge, dans ma destinée, et qui n’a fait que se développer à toutes les époques de ma vie. ” (Mon portrait historique et philosophique, § 50)

Rencontres inspiratrices de la pensée

Il convient, pour saisir pleinement la pensée du Philosophe inconnu, d’en découvrir la genèse et son évolution au gré des rencontres de chair et d’esprit qu’il réalisa tout au long de sa vie. Nous n’évoquerons ici que les principaux noms que l’histoire a retenus.

C’est probablement durant son adolescence que Saint-Martin découvrit les écrits du théologien protestant Jacques Abbadie (1654-1727). On ne trouve pas de trace explicite de ces lectures, contrairement à Burlamaqui.

Pour reconnaître, sans doute possible, l’influence d’Abbadie dans la construction de notre théosophe, il faut parcourir L’art de se connaître soi-même ou la recherche des sources de la morale. Ouvrage composé de deux parties, la première pose la condition et le devenir de l’homme dans sa perspective morale et la deuxième son rapport à l’amour et à sa déviance, l’amour-propre. Il est probable que sous l’éclairage de cette lecture, notre Philosophe apprit l’art du dépouillement, de l’introspection, une forme de maîtrise de soi donnant accès à une vision distanciée et lucide sur le monde.

Jean-Jacques Burlamaqui, homme de droit, qui vécut dans la première moitié du 18ème siècle quelques décennies avant Saint-Martin, était aussi grand amateur d’art. Cette ouverture explique probablement l’approche parfois métaphysique de son œuvre, entièrement dédiée aux principes du droit.

Saint-Martin lit avec passion ses ouvrages lors de ses études de droit, en particulier Précis du Droit de la Nature et des Gens, alors qu’il était à peine âgé de 18 ans. Plusieurs de ses écrits attestent de la profonde influence qu’aura cette lecture pour lui.

« C’est à Burlamaqui que je dois mon goût pour les bases naturelles de la raison et de la justice de l’homme. »

L.-C. de Saint-Martin, Mon portrait, n° 418.

« Sage Burlamaqui, c’est non loin de ces lieux,

Que tu sanctifieras l’aurore de mon âge ;

Qu’un feu sacré, sorti de ton profond ouvrage,

Agitant tout mon corps de saints frissonnements,

De la justice, en moi, grava les fondements… »

Extrait du Cimetière d’Amboise

C’est à l’âge étonnamment précoce de 22 ans, durant sa brève carrière militaire, que Saint-Martin fit la rencontre de son maître « visible », Joachim Martinès de Pasqually. Ce dernier, s’appuyant sur le milieu de la Franc-Maçonnerie, enseignait la singulière doctrine de la réintégration comme but véritable de l’évolution humaine. Cette instruction fut reconnue comme étant de la plus haute connaissance par notre théosophe qui ne l’abandonnera jamais…ce qui ne fut pas le cas de la mise en pratique proposée par Pasqually à travers la théurgie opérative, qu’il considéra rapidement comme, à la fois, dangereuse et trop élitiste.

De plus ample détails sur la doctrine de la réintégration et les Chevaliers Maçons élus coën de l’Univers sont donnés ici.

Enfin, en 1789, à Strasbourg, chez ses amis Charlotte de Boëcklin et Rodolphe de Salzmann, il fit la rencontre de son maître « posthume », « son premier maître par l’Esprit », Jacob Boehme (1575-1624), « son chérissime Boehme » comme il l’évoquait. Les écrits du mystique de Görlitz marquèrent définitivement Saint-Martin, tant par l’écho à la doctrine de la réintégration, la confirmation de la nécessaire primauté de la voie intérieure, que par les nombreux apports à sa pensée. Citons, tout particulièrement, les lois physiques d’attraction et de répulsion, la distinction entre la nature éternelle et la nature créée, la théorie des miroirs divins et la Sophia, et enfin le problème de l’hermaphrodisme humain et divin.

Il apprit l’allemand pour proposer la première traduction française d’ouvrages, qui demeurent, encore aujourd’hui, une référence en la matière.

« C’est avec franchise, monsieur, que je reconnais n’être pas digne de dénouer les cordons des souliers de cet homme étonnant, que je regarde comme la plus grande lumière qui ait paru sur la terre après celui qui est la lumière même. »

(Lettre du 8 juin 1792.)

« Notre premier maître avait certaines lumières, mais le second, B, a des lumières supérieures encore qui nous font aborder des domaines insoupçonnés ».

(Mon portrait historique et philosophique)

De l’abandon des pratiques magiques

Saint Martin, à la mise en sommeil de l’Ordre des Elus Coëns, abandonna avec facilité les opérations magiques (théurgie externe). En fait, depuis le début, Saint Martin sembla émettre des doutes, non pas tant sur leur efficacité, que sur leur dangerosité au regard du but cherché.

Un échange, devenu célèbre, rapporté par Franz von Baader dans son livre Enseignements secrets de Pasqually, entre lui et Pasqually fait état de ses premiers doutes, alors que son maître était en plein préparatif pour une cérémonie de théurgie :

– Maître, avons nous vraiment besoin de tout ceci ?

– Il faut bien se contenter de ce que l’on a…

Mais ces pratiques, et nous ne cesserons de le répéter, ne sont pas sans danger. On en trouve la trace, dans certaines de ses correspondances, de l’évocation d’opérations concluantes mais manifestement effrayantes. Ce n’est pas la seule chose qui fasse douter Saint Martin de l’intérêt de ces pratiques externes :

« A l’âge de dix huit ans, il m’est arrivé de me dire, au milieu des confusions philosophiques que les livres m’offraient : il y a un Dieu, j’ai une âme, il ne faut rien de plus pour être sage et c’est sur cette base-là qu’a été élevé par la suite tout mon édifice. » (Mon portrait historique et philosophique, §28)

La voie interne

Ainsi, ayant éprouvé, dans toutes ses profondeurs (il est bon de noter que Saint Martin insiste toujours sur la nécessité d’un investissement total sur le chemin spirituel, quel qu’il soit), les pratiques théurgiques, Saint Martin va désormais développer et nourrir sa propre voie, la Voie interne.

La voie interne repose sur le postulat suivant : tout ce qui se trouve à l’extérieur se trouve aussi à l’intérieur.

La voie interne n’est en rien inférieure à la voie externe. Ce n’est pas une voie de « facilité » qui se contente d’une vague sentimentalité. C’est une discipline de vie, qui a ses exigences, son mode opératoire et ses effets sur la Conscience.

Certains croyants considèrent que la Vérité est hors d’eux-mêmes ; Le martiniste considère que cette Vérité est contenue en lui-même. L’outil essentiel et suffisant, préconisé par Saint-Martin, est la prière qu’il appelle « la respiration de l’âme ».

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Le lieu du cœur

Cet intérieur, canal de la voie interne, est le « lieu du cœur », qui est en réalité un certain état d’être.

Les opérations internes se réalisent, sans exception, dans le lieu du Cœur, qui est le Centre de tout être.

Ce centre est découvert dans le Silence, qui exclut les pensées parasites ; et dans l’Isolement, qui empêche la Conscience de s’extérioriser dans le monde. En chaque homme existe donc ce qu’on peut appeler « le temple intérieur », lieu de jonction entre les natures terrestre et céleste, lieu de transformation profonde au contact du divin.

« Le Dieu unique a choisi son sanctuaire unique dans le cœur de l’homme, et dans ce fils chéri de l’esprit que nous devons tous faire naître en nous […]. » (Le Nouvel homme, § 27)

La voie interne en action

Selon Louis Claude de Saint-Martin, l’humanité est faite pour l’action, étant au fond, une action divine dans le monde manifesté.

« Si vous éteignez l’âme humaine, ou si vous la laissez se glacer par l’inaction, il n’y a plus de Dieu pour elle, il n’y a plus de Dieu pour l’univers. » (L’homme de Désir, § 12)

De la réconciliation et de la réintégration

La séparation des hommes de leur Créateur conduit à un désordre intérieur, une perte de la hiérarchie des valeurs humaines, fondatrices de la personnalité de chacun d’entre nous. Quand l’homme plonge en lui-même, dans le lieu du cœur, et qu’il prend conscience de ce désordre profond, naît, en lui, l’élan, définitivement acquis, qui le pousse vers la conquête de l’unité : c’est le Désir.

Le chemin, nourri par le Désir, aboutit à une fusion sans confusion, qui assimile l’homme au divin : la réconciliation individuelle.

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« Voie de la réconciliation, voie de l’esprit, conduisez l’homme au port de la vie ; et les cieux même tressailliront de joie de voir que, malgré l’étendue de l’offense, les nombres de la réparation et de la réintégration sont accomplis.

… Parce que, quand tu auras une fois atteint la voie de la réconciliation ou de l’esprit, tu n’auras plus rien à craindre pour toi. Tu n’auras qu’un accroissement continuel de vertus à recevoir. » (L’Homme de Désir, §170)

L’homme, comme l’évoque la Genèse, a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

On peut, en simplifiant un peu, considérer la réconciliation personnelle comme la naissance de Dieu en nous-mêmes, en « re-connaissant » l’image divine qui était toujours présente. Il est de la responsabilité de chaque martiniste de travailler, encore et encore, à cet objectif.

Et c’est par l’action combinée du visible et de l’invisible que « l’homme réconcilié » aidera et permettra à ses semblables de retrouver l’unité perdue, la ressemblance divine : c’est la Réintégration du genre humain.

L’évolution spirituelle de l’homme selon Saint-Martin

Si nous reprenons certains éléments clefs de la pensée de Saint-Martin, nous trouvons esquisser ce qui ressemble à la voie ou à l’évolution spirituelle de l’homme.

Schématiquement, il se compose de 4 phases, 4 stades, 4 paliers, qui marquent et dessinent la progression de l’homme, de sa condition terrestre déchue jusqu’à sa reconquête de l’unité divine :

  • L’homme de torrent : Ou le « vieil homme », est la condition initiale de l’homme, après la seconde chute (la prévarication d’Adam). Par « torrent », on entend ce flux qui est agitation mais non action. C’est la condition terrestre dans sa dimension réductrice, avilissante.

« Fleuve des siecles, vous semblez ne rouler dans vos eaux troubles que l’erreur, le mensonge et la misère. Au milieu de ces torrents fangeux à peine se trouve-t-il un filet d’eau pure ; et c’est tout ce qui reste pour désaltérer les nations. » (L’Homme de Désir, §102)

  • L’Homme de Désir : Quand l’interne perce la coquille de l’externe, qu’une perméabilité se crée, définitivement, entre le monde des aspirations hautes (ou spirituelles) et le monde du quotidien.

« Qu’est-ce que l’esprit demande aux hommes de désir ? C’est qu’ils concourent avec lui dans son œuvre. » (L’Homme de Désir, §250),

  • Le Nouvel Homme : Dans l’ouvrage du même nom, Saint Martin nous explique que Dieu cherche à faire alliance avec l’Homme. Il s’agit de l’homme « fait » à son image, dans sa pureté originelle. L’Homme de Désir doit donc effectuer un travail de purification constante. Pour l’aider, le Réparateur (Christ) a tracé une voie à suivre.

« Bienheureux ceux qui auront assez purifié leur cœur pour qu’il puisse servir de miroir à la divinité, parce que la divinité sera elle-même un miroir pour eux ! Le nouvel homme ne doute pas que par ce moyen il ne parvienne intérieurement à voir Dieu… » (Le Nouvel Homme, §36),

  • Le Ministère de l’Homme Esprit : Titre du dernier ouvrage de Saint-Martin qui, par la suite, mettra sa plume et son énergie au service de la traduction d’ouvrages de Jacob Boehme. On retrouve clairement la forte influence du théosophe allemand, qu’il considère comme son « deuxième maître ». L’accent est mis sur la responsabilité de « l’homme réconcilié », le Nouvel Homme, qui doit œuvrer désormais pour la progression de l’ensemble de la création. En accomplissant cette mission divine, l’homme esprit (devenant l’équivalent de l’Adam originel, du Christ) remplit les charges de son ministère.

« En effet, Dieu ayant destiné l’homme à être l’améliorateur de la nature, ne lui avait pas donné cette destination sans lui donner l’ordre de l’accomplir ; il ne lui avait pas donné l’ordre de l’accomplir sans lui en donner les moyens ; il ne lui en avait pas donné les moyens sans lui donner une ordination ; il ne lui avait pas donné une ordination sans lui donner une consécration ; il ne lui avait pas donné une consécration sans lui promettre une glorification ; et il ne lui avait promis une glorification, que parce qu’il devait servir d’organe et de propagateur à l’admiration divine, en prenant la place de l’ennemi dont le trône était renversé, et en développant les mystères dé l’éternelle sagesse. » (Ministère de l’Homme Esprit)

L’Ordre Martiniste, héritage direct de Saint-Martin

Les symboles, légués par Papus, manifestent, expriment et se raccordent à la fois à la doctrine de Martinez de Pasqually et à la pratique de Louis Claude de Saint Martin. En cela, ces symboles initient au Martinisme.

C’est Papus qui a donné au Martinisme le nom de « voie cardiaque ». Il  il distingue la voie mentale, celle de la magie cérémonielle, de la voie cardiaque, voie du mage, du théurge. Le cœur, centre de l’être, est considéré comme l’athanor alchimique, dans lequel le martiniste opère son Grand Œuvre.

Mais le cœur est considéré aussi comme l’organe mystique, comme dans l’hésychasme, la prière du cœur.

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