Le martinézisme de Martinès de Pasqually

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L’Ordre des Chevaliers Maçons élus Coëns de l’Univers

Comme nous l’avons vu, Pasqually va s’appuyer sur la franc-maçonnerie pour essayer de diffuser sa pensée si particulière. Même si le système maçonnique n’était, en l’état, pas ou peu adapté à son projet, il n’y avait pas, à l’époque, d’autre organisation qui lui permît de toucher un publique « averti ». Il eut quelques difficultés au départ à faire entendre sa doctrine. Finalement, son Ordre fit tout de même, à partir de 1767, partie intégrante du paysage maçonnique (Grande Loge de France) et trouva un certain succès.

L’Ordre adopte un système de classes et de degrés :

Maçonnerie Symbolique :

  • Apprenti,
  • Compagnon,
  • Maître maçon 

Classe du Porche :

  • Apprenti Cohen,
  • Compagnon Cohen,
  • Maître Élu Cohen ;

Ordre intérieur :

  • Grand maître élu Cohen/Grand Architecte,
  • Grand élu de Zorobabel/Chevalier d’Orient,
  • Commandeur d’Orient/Apprenti Réau-Croix (6e classe)

Classe secrète

  • Réau-Croix.

Les statuts de 1767 mentionnent en outre, au sommet de la hiérarchie, un grade non maçonnique de SJ ou SI défini comme Souverain Juge ou Supérieur Inconnu. On appelait « Supérieurs Inconnus » (S.I.), les cinq Frères membres d’un Tribunal Souverain à qui Martines avait confié la gestion de l’ordre des Elus Coën lorsque, en 1772, il partit pour Saint-Domingue.

Traité de réintégration des êtres créés dans leurs primitives propriétés, vertus et puissances spirituelles divines

Seul écrit qui nous reste de Martines de Pasqually (et encore, il le fit rédiger car il semblerait que sa maîtrise du français fut approximative), cet opus est, incontestablement, un écrit majeur dans le milieu de l’ésotérisme occidental. Bien qu’inachevé (on peut trouver la trace d’idées jamais formalisée dans le Traité dans les fameuses Leçons de Lyon), il demeurait, pour les élus Coën, à la fois la référence définitive à la pensée du maître, le support de méditation et l’objet d’étude contenant les clefs des pratiques.

On y trouve notamment la cosmogonie de Pasqually :

  • Le monde divin, ou plutôt les mondes, les cercles qui composent le monde, impossible à connaître et peuplée des esprits émanés, qui, finalement, sont les » Idées de Dieu »,
  • Vient « après » l’immensité surcéleste avec ses esprits libres mais émancipés, c’est-à-dire chargés d’une mission divine,
  • L’immensité céleste et l’immensité terrestre, qui appartiennent au monde des formes assujetties à l’espace et au temps, prisons des anges rebelles et asile des hommes déchus.

Ces immensités, divine, surcéleste, céleste et terrestre correspondent aussi à des nombres, qui sont, «l’étiquette du sac» (Louis-Claude de Saint-Martin).

En effet, même dans l’impossibilité de connaître ces mondes, l’élu Coën pourra étudier ces étiquettes, ces nombres. Car l’univers de Martines est un royaume arithmosophique dont les nombres sont des clefs qui ouvrent, graduellement, toutes les portes.

Les opérations théurgiques, en fin de compte, ne sont qu’un mode de communication avec les êtres des différents mondes.

Petit résumé du Traité

De toute éternité, Dieu engendre des êtres.

II émane, pour sa propre gloire, des esprits libres qui composent sa cour, l’immensité divine. Certains de ces êtres, entraînés par un chef, viennent à pécher en se rebellant contre le Créateur. Pour faire simple, ils utilisent leur pouvoir divin pour tenter d’égaler Dieu (c’est la prévarication).

Leur faute spirituelle brise l’unité initiale et contamine même les esprits demeurés fidèles à l’Éternel. Dieu doit protéger ces derniers et punir les esprits infidèles devenus les démons, sans jamais leur enlever le moyen de retrouver leur état perdu. À cet effet, l’univers matériel est créé, et ils y sont enfermés.

Pour s’assurer de la rédemption et du retour des démons dans la cour divine, il faut, à cette prison, un geôlier qui soit aussi un éducateur, et aucun ange fidèle ne peut accomplir cette mission, car tous ont été souillés par le crime des mauvais esprits. Dieu émane donc à son image et à sa ressemblance une nouvelle classe d’esprits, d’une puissance supérieure aux premiers et non souillés, parce qu’étrangers à la rébellion : c’est l’homme (nommé dans le traité « mineur spirituel »).

L’un de ces mineurs se verra confier la mission de veiller sur les démons et d’aider à leur réintégration : c’est Adam. Le prince des esprits déchus suggéra à Adam de créer, à l’aide de son immense pouvoir, un être de corps glorieux, qui dépendrait de lui, comme lui-même dépendait de Dieu : Eve apparut. Mais Eve ne possédait par de corps glorieux mais un corps ténébreux de matière. Cette nouvelle prévarication, d’Adam cette fois, sera la seconde chute. Dieu affligeà Adam d’un corps semblable à celui d’Eve et les condamnera à la matière. L’homme perd le contact direct avec l’Éternel, d’esprit à esprit.

Adam, et nous, qui sommes ses descendant, ne possèdent plus ce capacité spirituelle, seulement celles « spirituelles temporelles ». Les pratiques magiques théurgiques proposées par Pasqually seraient donc le canal, le moyen de rétablir provisoirement le contact avec les esprits « supérieurs », proche du plan divin, et, ce faisant, de recouvrer les anciens pouvoirs d’Adam. Alors, la mission confiée par Dieu à Adam pourrait s’accomplir : ramener vers l’Éternel l’ensemble des créatures déchues, hommes et démons, en vue de leur réhabilitation personnelle, ce qui préfigure la réintégration universelle, le retour à l’unité initiale.

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Doctrine et pratiques.

Cette organisation reposait sur une doctrine et un ensemble de pratiques.

Elle était structurée en Loges, dont l’organisation et l’administration prenait beaucoup d’énergie. La doctrine de cet Ordre était complexe : son contenu était dévoilé progressivement au fur et à mesure d’un certain nombre de cérémonies d’initiation. En plus de cette doctrine, que les disciples découvraient petit à petit, un ensemble de pratiques, centrées sur la prière et des évocations permettaient aux « émules » d’accéder à un ensemble de pratiques rituelles magico-théurgiques précédées d’une préparation et purification rigoureuses.

Le fait est que l’approche théorique était complexe. Trop, si elle était abordée comme un système. En réalité, il semble qu’elle prenait sa source directement dans des expériences personnelles de contact avec un plan spirituel ou « surcéleste », puis était ensuite formulée en concepts et en phrases. C’est pourquoi parler de “doctrine”, comme s’il s’agissait d’un système clos, est un peu abusif. Ce qui est clair, par contre, c’est que la terminologie employée était souvent originale.

Partant du mythe de la chute de l’homme originel dans le monde, suite à un péché (une « prévarication »), l’objet des pratiques était de « se réconcilier » individuellement, puis d’agir pour permettre une réconciliation générale de l’humanité et de la création toute entière, prélude à une « réintégration dans l’unité de l’Être ».

Les hommes (« les mineurs spirituels ») devaient en effet s’affranchir des anges crées avant le genre humain (« majeurs spirituels »). Cette progression était vérifiée au cours de pratiques de théurgie très précises. Si les buts étaient extrêmement élevés, les disciples étaient préparés progressivement à leur compréhension profonde : la « doctrine » n’était qu’un moyen de les préparer et de répondre à un Désir qui était déjà présent : accéder à une vie plus spirituelle.

Le “sacerdoce” (sens du terme hébreu cohen) répondait à une intention d’assumer une fonction de « Culte primitif ».

Un but noble mais des pratiques dangereuses

Les pratiques rituelles n’étaient pas neutres : leur but reposait essentiellement sur une vérification de l’état de « réconciliation personnelle ou individuelle », où l’individu s’unifie avec le principe divin. Des « passes », lumineuses, sonores, attestaient ou non de l’état de purification de l’âme individuelle de celui qui exécutait le rituel.

On comprend encore aujourd’hui le danger que de telles pratiques pouvaient présenter pour ceux qui réussissent à activer ces contacts. Pour les autres, l’aigreur de l’échec pouvait remettre en question des fondements entiers de croyances, ou altérer leur vision éthique. Ce qui était dangereux alors continue de l’être de nos jours.

Très peu nombreux étaient les membres capables d’appréhender ce corpus, dans sa pratique et sa théorie. Ceux qui le pouvaient étaient alors ordonnés « Réaux–Croix », grade ultime de l’organisation. Louis-Claude de Saint Martin fut de ceux-là. Mais il ne fut pas le seul. D’autres, tels l’abbé Fournié, Jean-Jacques d’Hauterive, Pierre-André de Grainville, eurent les mêmes attestations d’entités spirituelles, les émancipant et les réconciliant avec le principe premier, le Verbe… et devinrent des Réaux-Croix, indépendamment des rôles qu’ils pouvaient jouer dans l’organisation.